LLOANSI Cyprien

Né et mort à Perpignan (Pyrénées-Orientales), 20 novembre 1903 - 15 mai 1984, dessinateur, architecte, puis architecte expert, militant socialiste et pacifiste, franc-maçon, animateur de la vie culturelle roussillonnaise des années 1920 aux années 1970.

Issu d’une vieille famille perpignanaise par sa mère (Marie, Élisabeth, Hélène Mundet, repasseuse âgée de 37 ans en 1903), Cyprien Lloansi était petit-fils d'un ferronnier franc-maçon. Son père, Cyprien, Côme, Martin Lloansi, natif de Massanet de Cabrenys en  Ampourdan était âgé de 41 en 1903. Menuisier ébéniste, il était républicain et agnostique. C. Lloansi se maria deux fois. Le 19 avril 1930, il épousa Aline, Dorothée Wilm née en 1908 dans le Bas-Rhin. Ce premier mariage fut dissous par jugement de divorce du tribunal de Perpignan (12 août 1940). Il se remaria le 7 juillet 1950 avec Jacqueline Schmidt, secrétaire née le 14 février 1928 à Perpignan, fille d’Eugène Schmidt, bibliothécaire de Perpignan, et  Germaine Garrigues.

Cyprien Lloansi fréquenta l'École primaire supérieure de Perpignan puis celle de Toulouse (Haute-Garonne). Il suivit les cours de l'École des Beaux-Arts. Ayant effectué son service militaire à Tours (Indre-et-Loire) et à Toulouse, en 1923-1924, il travailla comme salarié avant de s'établir, en 1930, comme architecte. Il fut rédacteur du Mestre d’Obres, la revue des architectes nord catalans. Parmi ses réalisations, il convient de signaler le monument érigé (1949), Place de Catalogne à Perpignan, à la mémoire du résistant catalan Louis Torcatis (Voir ce nom) abattu à Carmaux (Tarn) en 1944. Il conçut, aussi (1955), avec le sculpteur Marcel Gili le monument à la Résistance érigé à la Promenade des Platanes, près de l’actuel Palais des Congrès, la fontaine des frères Bausil (1955), avec une statue et un médaillon en bronze de Ludovic Olivier, la mairie – école “ Léon-Blum ” d’Olette (qu’il inaugura en présence de la veuve du président du Conseil du Front populaire).

Jeune étudiant, Lloansi, déjà très influencé par Jean Jaurès, fut tout particulièrement révolté par la répression qui suivit la mutinerie de la mer Noire. Pour l'ensemble du mouvement ouvrier des Pyrénées-Orientales, la cause d'André Marty, enfant du pays, fut très mobilisatrice. Lloansi participa aux nombreuses manifestations pour obtenir sa libération. Son horreur de la guerre l’amena vers le pacifisme, hésitant quelque temps entre le pacifisme intégral et l'antimilitarisme révolutionnaire. Dès le début des années trente, il correspondit avec des pacifistes comme Georges Pioch ou Marcelle Capy, adhéra aux “Combattants de la Paix” et siégea à son Comité directeur. Il anima localement ce mouvement avec Marianne Comignan Il fut délégué au congrès du Rassemblement universel pour la paix, à la Mutualité (1936).

L'engagement pacifiste de Lloansi trouva son prolongement dans l’action politique : il adhéra au Parti socialiste S.F.I.O. en 1936, peu avant les élections législatives. Proche du noyau pivertiste perpignanais, il vota avec ces militants, mais ne les suivit pas lorsqu'ils quittèrent la S.F.I.O. en 1938. Par antifascisme et pour bien marquer son opposition aux successeurs de Jean Payra à la direction fédérale, il vota les textes zyromskistes, ce qui peut paraître en contradiction avec son engagement antimilitariste militant. Pendant trois ans, il fut secrétaire du comité Amsterdam-Pleyel de Perpignan. Le 18 septembre 1937, il entra au bureau du comité local du Rassemblement populaire. Soutenant la lutte des républicains espagnols, Lloansi eut, à plusieurs reprises, l'occasion d'assurer, dans le cadre du “Comité du Continental-Bar” animé par les pivertistes locaux en contact avec la C.N.T.-F.A.I. et, surtout, avec le P.O.U.M., le franchissement clandestin de matériels divers, notamment d'un moteur d'avion en pièces détachées. En janvier-février 1939, lorsque, par milliers, les réfugiés franchirent la frontière, fuyant les troupes franquistes qui avançaient en Catalogne, Lloansi s'occupa tout particulièrement des artistes qui étaient internés au camp de réfugiés d'Argelès-sur-Mer réussissant à en faire sortir quelques-uns.

Mobilisé en septembre 1939, en qualité de radiotélégraphiste, au 28e régiment du génie dans les Ardennes, blessé au printemps 1940, il fut hospitalisé et ne fut démobilisé qu'en août 1940. Il fut, pendant plusieurs mois, physiquement diminué. Franc-maçon, Lloansi ne tarda pas à avoir des ennuis avec le régime. Son nom fut publié dans le Journal officiel et il fut pris à partie dans L’Action française et dans Le Roussillon. Il s'engagea alors dans la Résistance. Contacté en décembre 1940 par un ancien officier, le commandant Ricard, il commença à militer dans les rangs de “Combat”. Il effectua des taches de renseignements, le plus souvent d'ordre militaire, et participa à l'organisation de passages clandestins en Espagne. Au début de l’année 1944, une vague d'arrestations frappa la Résistance perpignanaise et par mesure de prudence, il quitta Perpignan. Il se réfugia à Lyon (Rhône), où il obtint un emploi dans le génie rural. Il entra en contact avec un groupe de la Résistance lyonnaise qui se réunissait chez Louis Martin-Chauffier, de l'équipe de Paris-Match, repliée sur Lyon depuis 1940, où il rencontra Gabriel Chevalier (l'auteur de Clochemerle), le journaliste Georges Goldman et Claude Aveline. Il assura alors des liaisons avec divers maquis de l'Ain et de la Loire.

Après avoir assisté à la libération de Lyon, Lloansi regagna Perpignan vers la mi-octobre 1944. Il réadhéra alors au Parti socialiste S.F.I.O. qu'il quitta lorsque les communistes furent exclus du gouvernement en 1947. À noter, également, qu’il fut, à la Libération rédacteur en chef de La Voix de la Patrie et membre du comité directeur de l’“Association France-Espagne” présidée par son ami Félix Mercader (Voir ce nom), maire de Perpignan. Avec les Pradéens Jean Font (Voir ce nom) et Robert Lapassat, professeur, il participa à la fondation de l'Union progressiste dans les Pyrénées-Orientales et collabora à son journal Clartés. Après la désagrégation de l'Union progressiste, Lloansi s'imposa alors comme principal leader du groupe de la Convention des institutions républicaines de Perpignan. Il conduisit, aux élections municipales de 1965, une liste d'Union de la gauche, contre le député-maire de Perpignan, l'ex-socialiste S.F.I.O. Paul Alduy, qui fut battue au second tour.

Pacifiste ardent, il fut également, après la Seconde Guerre mondiale, le fondateur du comité local “ Garry Lewis ” (des “ Citoyens du Monde ”). De 1968 à 1973, Lloansi fut président de la Ligue des droits de l'homme des Pyrénées-Orientales. À ce moment-là, malgré son adhésion à la C.I.R., il fut très proche de l’extrême gauche, et, en sa qualité de président de la Ligue des Droits de l’Homme, il participa aux nombreuses manifestations organisées par l’extrême gauche issue du mouvement de mai 1968. Cette attitude lui valut les “remontrances” des dirigeants locaux du P.C.F. À partir de 1972, siégeant à la commission exécutive fédérale du Parti socialiste, Lloansi s'engagea dans le conflit interne que traversait la Fédération des Pyrénées-Orientales pour réaliser l'Union de la gauche. En mars 1976, lui et ses amis de la “gauche mitterrandiste” locale, entreprirent de diriger la Fédération catalane du Parti socialiste. Lloansi siégea à la C.E.F. et, pendant quelque temps, au bureau fédéral. Il prit une part très active à la campagne pour les élections municipales de mars 1977 à Perpignan et fut candidat sur la liste d'Union de la gauche qui fut battue par Paul Alduy.

Cyprien Lloansi s'était engagé également dans les rangs de diverses organisations. Initié à la franc-maçonnerie depuis 1936, il appartint à la loge “ Saint-Jean-des-Arts ” affiliée à la Grande Loge de France. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut l'un des vingt-deux dirigeants de la Grande Loge de France. Au moment des pourparlers de fusion entre la Grande Loge de France et la Grande Loge nationale, Lloansi n'admit pas les conditions posées et adhéra au Grand Orient de France dont il devint un des dirigeants locaux. Il présida aussi la Fédération de parents d'élèves “ Cornec ” de 1965 à 1974. Représentant de la “ Fédération Cornec ” (F.C.P.E) au Comité départemental d'action laïque, il en devint bientôt le président. Jouant un rôle dans la vie intellectuelle du Roussillon, Lloansi fut l'ami de nombreux peintres ou sculpteurs de renom qui y séjournèrent. Dans sa jeunesse, il avait fondé une "Association de la Jeunesse catalane ”, aux buts culturels proclamés. Collaborateur du Coq catalan, de Tramontane, de Reflets du Roussillon et de Conflent, revues culturelles locales, il fut un inlassable animateur de causeries et de réunions littéraires ou artistiques dans le cadre du foyer Léo Lagrange de Perpignan. Il fut l’auteur de poésies. Les premières furent publiées, avant 1939, dans Le Coq Catalan d’Albert Bausil qui fut aussi son ami. Dans le sillage de cet incomparable animateur de la vie culturelle perpignanaise qui sut susciter tant de talents, il côtoya les jeunes Charles Trenet et Robert Brasillach. En 1936, il fut l’organisateur du “ salon des Indépendants roussillonnais ” où il fit se côtoyer peintres, sculpteurs, décorateurs et architectes. Architecte lui-même, il réserva une salle à ses confrères, parmi lesquels Félix Mercader (Voir ce nom), Édouard Mas-Chancel, Alfred Joffre, Gelly, Ferid Muchir, Joseph Roque et Savoyen. Son amitié avec Claude Aveline (Voir ce nom) lui permit de rencontrer de rencontrer en 1937 André Malraux, alors assidu du Roussillon, pour des raisons personnelles et politiques. Grâce à ce double contact et avec le prestigieux patronage de l’auteur de La condition humaine, il participa (avec les peintres Eugène Schmidt (son futur beau-père) et Martin Vives, et l’instituteur communiste Paul Combeau, - Voir ce nom - ami des peintres qui fréquentaient Collioure), à la création d’une “ Maison de la Culture ” qui accueillit le romancier et critique Eugène Dabit. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut un conférencier prolifique, parlant d’écrivains et d’artistes dans le cadre d’associations aussi diverses que la fédération catalane “ Léo-Lagrange ” (dont il fut par ailleurs l’un des administrateurs), “ Culture et Fraternité ”, l’Association polytechnique, le “ club Femina ”, l’Union rationaliste… En sa qualité de poète de langue française, il participa dès 1960 aux travaux de la Compagnie littéraire du Genêt d’Or dont il devint l’un des mainteneurs. Il fut l’auteur d’un roman inachevé et inédit, de nouvelles et de pièces de théâtre. Mais, ce fut en qualité de poète qu’il eut le plus de notoriété. Ses Romances foraines à la Réal (1952) furent illustrées de lithographies de Paul Soler. Le prestigieux éditeur Pierre Seghers publia en 1957 sa plaquette Lumière d’olivier dans sa collection “ Poésie ”, agrémentée d’un portrait de l’auteur par Marcel Gili (repris sur la couverture du n° spécial de Conflent, “ Hommage à Cyprien Lloansi ”, 1997). Sa notoriété lui valut d’être inclus dans une émission radiodiffusée de “ Paris Inter ” consacrée à cinq poètes modernes (dont René Char) réalisée par René Beucler, avec la participation de la comédienne Simone Cendrars. Dès avant 1939, il prit la défense du Castell reial de Perpignan, plus connu sous le nom de “ Palais des rois de Majorque ”. En 1935, il évoquait ce monument dans Lo Mestre d’obres, la précieuse revue de la féconde école roussillonnaise d’architecture des années 1930-1950. En novembre 1944, il demandait que l’armée rétrocédât le Castell reial de Perpignan, ce qui fut en 1946 par le conseil général présidé par un homme de culture, Louis Noguères. À la libération, toujours, il fut, à la demande de son confrère Félix Mercader, maire de Perpignan, délégué du “ Groupement des architectes ” auprès de la commission des sites et des monuments. Il fut également à l’origine de la constitution du comité “ Antonio Machado ”, destiné à célébrer la mémoire du grand poète décédé à Collioure. Humaniste et philanthrope, il fut administrateur de “ L’Union des aveugles des P.O. ” et la “ Banque des yeux ”.

OEUVRE CHOISIE : nombreuses collaborations aux revues ou journaux cités dans la notice, les œuvres citées dans la notice.

Sources : – A.C Perpignan, état civil. - Numéro spécial (205) de Conflent, Prades, 1997, avec en particulier des articles de Robert LAPASSAT, Pere VERDAGUER, Corinne DOUMENC-OUSSET-DUCROS. - BALENT (André), “ Lloansi Cyprien ”, DBMOF, XXXV, 1989, pp. 11-12. - QUERALT (Jacques), “ Ceux qui s’en vont. Cyprien Lloansi ” L’Indépendant, 16 mai 1984, p. 3. – STOUMEN (Julie), “ L’architecture des années 1930-1940 à Perpignan ”, Actes de la IIe rencontre d’Histoire et d’archéologie d’Elne, collège “ Paul-Langevin ”, 30, 31 octobre et 1er novembre 1999, Ville et territoire, L’Historien et l’archéologue dans sa cité, Elne, société des amis d’Illiberis, 2003, pp. 333-340. – Le Travailleur catalan, 18 septembre 1937. - L’Indépendant (1965-1973). – avis mortuaires de L’Indépendant, 17 mai 1984, p. 8. - Interviews de Cyprien Lloansi et de Fernand Cortale. – Souvenirs personnels de l’auteur de la notice.

André BALENT