KAHANE Jean-Pierre
Né le 11 décembre 1926 à Paris (XIIe arrondissement), mathématicien, professeur à l’Université de Montpellier et à Paris Sud – Orsay, membre du Comité central du Parti communiste français.


Après des études secondaires à Paris au lycée Henri IV, Jean-Pierre Kahane entra en 1946 à l’Ecole normale supérieure dans la section Sciences. Il adhéra la même année au parti communiste. En 1949 il fut reçu premier à l’agrégation de mathématiques. Deux ans après, le 11 juillet 1951, il épousa Agnès Kaczander, une jeune fille d’origine hongroise. Le couple eut trois filles.

Attaché au CNRS, il prépara jusqu’en 1954 deux thèses de mathématiques pures. Il fut alors nommé maître de conférences à la faculté de Montpellier. En 1958, il était professeur en titre. Sa nomination fut saluée par La Marseillaise du 14 février 1958 : « La science ne peut se développer librement que dans un monde socialiste », écrivit Manuel Bernabeu, alors secrétaire fédéral de l’Hérault. Dans le courant de l’été 1958, Jean-Pierre Kahane fut chargé de cours au Collège de France.
En allant à Montpellier, il avait rejoint son père Ernest Kahane qui enseignait la chimie biologique à la Faculté des sciences de Montpellier. La famille habitait à Montpellier rue Mareschal un appartement qui lui avait été cédé par la veuve du directeur du Midi Libre, Jacques Bellon, qui était aussi d’origine roumaine. Père et fils eurent des engagements communs : adhérents du parti communiste, ils fréquentaient tous deux la rue des Étuves de Montpellier. Ils étaient aussi membres des « Amitiés franco-chinoises » et de l’Union rationaliste de Montpellier que présidait Ernest Kahane. Ce dernier, en avril 1957, participa à une délégation française en Chine populaire et rencontra Mao Zedong. Il rendit compte de ce voyage dans une conférence prononcée à Montpellier le 24 mai 1957. Très actif, Ernest Kahane était aussi vice-président du Comité de défense des libertés démocratiques en Afrique noire et entretenait des liens avec les associations d’étudiants : il y avait à Montpellier une des 20 sections françaises de la Fédération des Étudiants d’Afrique noire en France. Quant à Jean-Pierre Kahane, il voyagea pendant cette période de guerre froide en Europe de l’Est : en Yougoslavie, en Hongrie, en Roumanie –dont était originaire la famille Kahane – (Ernest Kahane était né à Piatra). Il fut aussi convié à donner des cours à l’Université de Bombay durant deux mois. Malgré la crise entraînée par les évènements de Hongrie, il demeurait fidèle à son parti. La guerre d’Algérie constituait le problème principal et il se formait chez les universitaires des Comités Maurice Audin. Jean-Pierre Kahane avait assisté à la soutenance « in abstentia » de la thèse d’Audin à la Sorbonne. Le 6 février 1958, la « Tribune libre » du Midi Libre, signée par René Saive, évoquait la formation de ces comités. Elle était titrée « L’exemple des maîtres » : « La faculté des sciences jouit-elle de toute sa lucidité ? Dans l’affirmative, elle a peut-être des comptes à rendre au Tribunal militaire. Sinon, elle doit s’en remettre à l’avis des psychiatres ». Jean-Pierre Kahane riposta dans un article qui parut le 8 février. Il y évoquait « les crimes commis sous le couvert de la guerre d’Algérie » et ajoutait : « On n’imposera pas le silence aux universitaires en les traitant de traîtres et de crétins ».
En mars 1958, le Préfet de l’Hérault adressa un rapport à la direction des Renseignements généraux à Paris sur « la pénétration de l’idéologie communiste dans les milieux enseignants ». En 1961, la Fédération communiste de l’Hérault créait à Montpellier une « Université nouvelle », logée rue des Étuves, présidée par Jacques Roux*, et qui compta à ses débuts 110 militants. Son secrétaire était Henri Pupponi*. À cette date, Jean-Pierre Kahane venait d’être nommé au centre d’Orsay de l’Université de Paris Sud où sa carrière se poursuivit et que par la suite il présida, de 1975 à 1978.
À Montpellier, ni lui ni son père (décédé le 22 novembre 1996) n’ont été membres du Comité fédéral de l’Hérault. Ainsi qu’il le dira plus de 40 ans après avoir quitté ce département : « Je suis communiste depuis l’âge de vingt ans. J’ai été militant de base, membre de cellule, de section, sans jamais avoir de responsabilité notable, jusqu’au moment où on m’a « bombardé » membre du Comité central. C’était en 1979. Sur la base de ma bonne mine et de mes performances comme président d’Université, j’imagine. Mais en fait il y avait quelque chose à faire au Parti communiste. Le parti communiste a des traditions
solides en matière de relations à la science, avec des personnalités qui l’ont marqué fortement comme Paul Langevin, comme Frédéric Joliot-Curie, auparavant comme Marcel Prenant. Or, il y a besoin de réactiver sans cesse, que ce soit au Parti communiste ou ailleurs, cet intérêt pour la science ». Son passage au Comité central valut à Jean-Pierre Kahane d’être candidat aux élections européennes de 1979.
Dans le courant de sa carrière universitaire, le CNRS a joué un rôle fondamental, et lui a donné l’opportunité de faire un travail d’information en direction du grand public. Il a toujours été attaché à l’idée de la diffusion de la culture scientifique et technique et a rendu hommage à l’action du service audiovisuel du CNRS. La mission interministérielle de l’information scientifique et technique (Midist), était un organisme qui fonctionna de 1979 à 1985. Appelé par Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Kahane y entra en 1981. Il en devint le président en 1982. Il fut de ceux qui luttèrent pour conserver le Palais de la Découverte menacé à l’époque où on créait La Villette. Il se montra aussi préoccupé, dans le domaine de l’édition, de la publication d’ouvrages de vulgarisation scientifique. Sans excès d’optimisme, il estime qu’il y a eu des réussites : « Concernant les réalisations en province, celle-ci a changé de visage. J’ai connu la province il y a cinquante ans, quand j’étais à Montpellier. La province était vide. Maintenant, vous avez à Montpellier la musique, mais vous avez également la science. On voit maintenant des enfants venir dans les labos ». Pour Jean-Pierre Kahane, l’information scientifique et technique, la diffusion des publications, et le rapport à l’enseignement, doivent être une préoccupation importante pour les mathématiciens, tout autant qu’elle l’est pour les astronomes et les physiciens. Leur responsabilité dans la crise financière mondiale a été évoquée en 2008 par Michel Rocard dans un article du Monde du 2 novembre 2008 : « Des professeurs de maths enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité ». La formation d’étudiants bien qualifiés parmi lesquels sont recrutés les traders engagerait-elle à un tel niveau la responsabilité des enseignants ? Tout en jugeant le propos excessif, Jean-Pierre Kahane, en bon scientifique, l’a analysé et admis un rapport entre les mécanismes de la crise financière et l’étude mathématique des probabilités. Il a conclu : « Les bouleversements, depuis une trentaine d’années, du système financier mondial, aurait dû attirer notre attention comme citoyens ». Une parole-clé qui résume la volonté d’engagement du chercheur et ses devoirs dans la société. Jean-Pierre Kahane voit que « des pauvres gens sont jetés à la rue et que des fortunes gigantesques s’établissent sur des décombres ». À l’épreuve de cette crise révélatrice de désordres et dont les causes lui sont connues, il a défini sa conception du rôle des mathématiciens qui doivent, en collaboration avec les économistes, créer de nouveaux modèles destinés à satisfaire des besoins fondamentaux et non à générer des profits pour une minorité. Les engagements que Jean-Pierre Kahane a maintenus durant toute sa vie ont amené ce chercheur à voir le rapport entre mathématiques pures et problèmes de société et à garder « le souci de lier la science à la vie ».
Jean-Pierre Kahane a enseigné au département de mathématiques de Paris Sud – Orsay jusqu’en 1994. Il est membre de l’Académie des Sciences depuis 1999. Il est commandeur de la Légion d’honneur et officier des Palmes académiques.

OEUVRE CHOISIE : Jean-Pierre Kahane, Some Random series of functions, in Cambridge studies in advanced Mathematics, éd. Cambridge University, janvier 1994. — Jean-Pierre Kahane et Pierre Gilles Lemarie-Rieusset, Séries de Fourier absolument convergentes et ondelettes, éd. Cassini, nouvelle bibliothèque scolaire/universitaire, 877 p., janvier 2001. — Jean-Pierre Kahane, Enseigner les mathématiques, éd. Odile Jacob, 240 p., mars 2002. — Collectif, Jean-Pierre Kahane, Yves Meyer et Uriel Frisch, l’Université de tous les savoirs, les Mathématiques, T.13, éd. Odile Jacob, avril 2002.

SOURCES : Who’s Who in France, biographie mise à jour le 11 avril 2005. — Arch. dép. Hérault, 511W37, Cabinet du Préfet, rapports individuels des RG, 1956-1964. — Henri Ostrowiecki et Virginie Durand, « Entretien avec Jean-Pierre Kahane », le 18 juin 2004, in La Revue pour l’histoire du CNRS, décembre 2005, mis en ligne le 3 mai 2007. — Jean-Pierre Kahane, « La science, les lumières et les ombres, le cas des mathématiques financières », in Bulletin de l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), n°486, 25 janvier 2010.

Hélène CHAUBIN